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Le Tour de la France par deux enfants

Un classique de l'Ecole Primaire de l'entre-deux-guerres
(celles de 1870 et de 1914-1918)


Publié en 1877 aux Editions Belin frères par Mme Augustine Fouillée (née Tuillerie) sous le pseudonyme de G. Bruno (nom d'un philosophe italien du XVIe siècle brûlé par l'Inquisition pour avoir soutenu des thèses trop rationalistes pour son époque), cet ouvrage est sans doute le plus gros succès de littérature pédagogique de tous les temps : plusieurs centaines d'éditions, celle dont nous disposons est de 1913, c'est la 366e, 8 600 000 exemplaires vendus, toujours diffusé en fac-similé (notamment une réédition spéciale du texte primitif, avec une importante postface, pour le centième anniversaire de la première, en 1977).

C'est un Livre de lecture courante, avec 212 gravures instructives pour les leçons de choses et 19 cartes de géographie, qui porte en sous-titre Devoir et Patrie

C'est dire que son objectif n'est pas seulement l'entraînement à la lecture des enfants du Cours Moyen, mais qu'il veut aussi nourrir les autres enseignements : histoire, géographie, sciences, et surtout morale et instruction civique. 

augustine

Chaque chapitre commence, comme la classe quotidienne, par une maxime, un précepte de conduite, et s'organise autour d'un thème  principal concernant les autres matières.

Un film muet tiré de ce récit, produit par Pathé-Consortium Cinéma, a été réalisé en 1923 par Louis de Carbonnat. C'en est  une version abrégée qui a été montée en films 9 mm 5 pour Pathé-Baby, en 1925, et que l'on nous a gracieusement offerte (14 cassettes rondes de 10 m chacune, dont hélas une est vide). Une autre copie réduite en 9,5 mm a été réalisée en 1937 (6 bobines de 100 m, durée 1h30 environ).
La Cinémathèque de la Ville de Saint-Etienne projette périodiquement une copie restaurée du grand film de 1923, et nous a obligeamment fourni de précieuses informations le concernant.

Le thème
 

Cliquer pour voir la carte en grand Dans le contexte d'humiliation nationale d'après la déroute de 1871, deux orphelins de 14 et 7 ans, André et Julien Volden, habitant Phalsbourg (en Lorraine, dans la partie germanophone annexée, avec l'Alsace moins Belfort, par la toute jeune Allemagne victorieuse) cherchent à rejoindre leur oncle Frantz, qu'ils croient à Marseille. Celui-ci  doit les aider à rester Français, comme ils l'ont juré à leur père mourant, le traité de Francfort ayant fixé au 1er octobre 1872 le terme de la période pendant laquelle les habitants des territoires devenus allemands peuvent demander à garder la nationalité française : ils veulent devenir des Optants (voir l'excellent site consacré à cette question).

 C'est le prétexte d'un périple qui, comme l'indique le titre, sera un tour de France,  passant par Epinal, Besançon, Lyon, Clermont-Ferrand, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Dunkerque, Lille, Reims, Paris... A pied, en voiture à cheval, en train, en bateau sur la mer, en péniche sur le Canal du Midi, en bateau de nouveau avec naufrage en Manche, par le train encore, les deux héros découvrent les paysages et les activités des régions traversées, l'histoire de leurs grands personnages, la qualité humaine de leurs habitants, exaltant la fierté nationale dans la diversité des provinces. Même les régions non visitées y sont décrites, le petit Julien ayant un livre qui traite de toutes les provinces. Ils font l'apprentissage du courage et de la persévérance, cultivent et fortifient leurs vertus républicaines, le sens du devoir et l'amour de la Patrie. 

Leur épopée s'achève dans une ferme de "la partie la plus montueuse de l'Orléanais", La Grand'Lande, où ils vivent en communauté avec l'oncle Frantz, le pilote du bateau naufragé (Guillaume) et sa famille, dans une quiétude toute bucolique, jusqu'à ce que la guerre suivante vienne saigner ces familles comme toutes les autres.

André et Julien

André et Julien Volden sur un chemin des Vosges
Image tirée du film de L. de Carbonnat (1923)

Le ton
Alors que l'ambiance de l'époque était à la revanche (venger l'affront de Sedan, reconquérir par les armes  les provinces perdues), ce livre a l'ambition de démontrer que c'est par la rigueur morale, le travail et le sens du devoir de ses citoyens qu'une nation peut établir sa supériorité. D'un chauvinisme indiscutable, il ne cède à aucun moment au bellicisme dominant en ce temps. Pour cela, les petits écoliers de la fin du XIXe siècle avaient d'autres supports que cette lecture : entraînement militaire (bataillons scolaires), chants patriotiques martiaux etc. Il en sera tout autrement avec Le Tour de l'Europe pendant la guerre, suite de la vie des personnages quarante ans plus tard.

L'auteur manie une langue expressive, très châtiée, souvent même trop recherchée pour le public visé (enfants de 10–11 ans).

Les différentes éditions
Le texte primitif dont nous disposons (probablement une réédition postérieure à 1918) est précédé d'extraits des programmes de 1882, où figurent encore, parmi les thèmes de morale à enseigner, les Devoirs envers Dieu. L'ouvrage contient donc plusieurs séquences décrivant la prière du matin ou celle du soir, une place honorable est faite aux monuments religieux et aux grands hommes d'église.
Une édition scolaire a été publiée dès 1906, suite à la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat. L'auteure l'a radicalement expurgée de toute référence religieuse, pour répondre aux exigences de neutralité des commissions de contrôle des manuels ; le texte primitif  néanmoins sera toujours diffusé, sans doute pour garder le marché des écoles confessionnelles. Dans cette édition scolaire, quasiment inchangée jusqu'en 1919, le nom de Dieu est gommé de partout (toutes les expressions de type Mon Dieu, avec l'aide de Dieu etc.ont disparu même des citations); les personnages ayant quelque attache avec l'église ne sont plus mentionnés (exit Vincent de Paul, Bossuet, Fénelon et bien d'autres; l'abbé de Saint-Pierre est devenu le philanthrope de Saint-Pierre, etc.); les monuments religieux ont disparu : sont rayés de la carte parisienne Notre-Dame, la Sainte Chapelle et l'Hôtel-Dieu (quel gros mot !); on ne voit plus Notre-Dame de Fourvière à Lyon ni Notre-Dame de la Garde à Marseille (mais seulement le petit sémaphore qui est tout près...). Et bien sûr, prières et actions de grâces ont été supprimées. Les derniers mots du récit du voyage sont toujours Devoir et Patrie, mais on y a ajouté : Humanité.
Un épilogue est ajouté, qui  montre les personnages une trentaine d'années plus tard, réunis à La Grand'Lande pour le nouvel an 1905.

Une édition encore postérieure (après 1918, mais l'état du livre ne permet pas de la dater exactement) se termine par cette phrase : "Nous retrouverons dans Le Tour de l'Europe pendant la guerre nos amis du Tour de la France réunis à la Grand'Lande le 11 novembre 1918, fêtant la gloire de la patrie victorieuse, pour laquelle neuf de leurs fils ont payé de leur sang le retour de l'Alsace à la France."


Une réédition en fac-similé du manuel scolaire de 1906, à couverture un peu plus rock'n'roll, est encore actuellement disponible aux Editions Belin .

Nicolas Demassieux a mis en ligne les textes complets de l'édition primitive, de l'édition scolaire, d'un exemplaire comparatif des deux, assortis d'index thématiques qui en facilitent la consultation . Cliquer ici pour accéder au site où on peut les trouver.

Autour du livre
De nombreux travaux de recherche l'ont utilisé comme matériau (témoignage de la vie quotidienne de son temps, de la vie économique et sociale du pays). L'un des plus récents est une somme critique des enrichissements du patrimoine initiés par ce livre (travail de M.A. Félicité, déjà pillé, comme le présent site, par des auteurs peu délicats).
Des émissions de télévision (sur La Cinq) et de radio (France-Culture) y ont été consacrées, notamment autour du Centenaire (1977). Le texte primitif a été diffusé en 1976 en radio-feuilleton sur France-Culture, lu par Michel Bouquet, dans une réalisation de G. Delaunay.

A Phalsbourg, d'où est parti ce Tour, dans la salle du Musée consacrée essentiellement à Emile Erckmann (enfant du pays lui aussi, auteur avec Alexandre Chatrian de nombreux "romans nationaux" bien connus des écoliers des 3e et 4e républiques : Le Conscrit de 1813, l'Ami Fritz etc.), une vitrine lui est consacrée ; il y existe une rue du Tour de la France par deux enfants  (près de la Porte de France par où André et Julien ont quitté la ville) ; de 2003 à 2009, chaque année, un groupe de jeunes du Collège Erckmann-Chatrian de Phalsbourg a effectué une partie du périple d'André et Julien (voir le détail en cliquant ici).

Dans le cadre des Journées du Patrimoine 2011, dont le thème était "Le voyage du patrimoine", nous avons réalisé et exposé un mini-dossier thématique à partir de l'édition primitive. On peut le consulter ou le télécharger en cliquant ici.

Alain Saustier



Mise à jour : 6 avril 2021